Let it all go

001 Leo est fondamentalement bon. Il est doux, sensible et aimant. Il a un grand cœur. Il a longtemps multiplié les bonnes actions sans rien attendre en retour, sans les exposer. Il n'a rien d'un Sterling. 002. Constamment comparés à ses cadets, tout particulièrement à Lloyd, on n'a de cesse de lui rappeler qu'il n'est qu'une déception, une honte pour la famille. Les choix qu'il fait, les actions aussi bonnes soient-elles, rien n'est suffisant. Tous s’entendent pour dire qu’il n'est pas à la hauteur. 003. Alors, il développe ce sentiment d'infériorité  et s'éloigne encore d'avantage de William, Eleanor et de sa propre fratrie. Il trouve du réconfort auprès d'un entourage qui l'apprécie et l'accepte comme il est. Bien trop authentique pour changer pour qui que ce soit. Sauf que la famille, reste la famille. Et après une sortie en compagnie de son ivrogne de petit frère, Leonard se retrouve devant un dilemme. Encore sous le choc, tremblant comme une feuille, les semelles de ses chaussures tachées du sang de l'accidentée, la jeune victime. William lui lance un ultimatum, profite de ce moment de faiblesse et lui dicte sa conduite une nouvelle fois. Pour la première et dernière fois, Leonard accepte. Il prend le blâme, protège son cadet. Naïf, il avale les belles promesses de ce père qui n'a jamais joué ce rôle auprès de lui, lui promettant que tout ira bien, qu'il sera entre bonnes mains et que ses bonnes actions et son mode de vie lui assurera un verdict acceptable. 004. Presque dix ans, déjà. Et pourtant, il lui arrive encore de faire ces cauchemars, de se réveiller en sursaut, trempé, espérant que ce ne soit qu'un rêve. Un très mauvais. Presque dix ans et il ne peut oublier ce bruit sourd. Celui du corps frêle d'une jeune femme dans la fleur de l'âge, contre la voiture de Lloyd, celui d'une vie arrachée. Deux, même. La première par l'alcool, l'insouciance d'un frère dont il n'a jamais été proche. Un frère qu'il aimait sincèrement, maladroitement, contrairement à ce dernier qui le supportait à peine. La deuxième, par les manigances, l'antipathie, l'aversion, la haine, de son père à son égard. Alors qu'il s'attardait à convaincre Leo, le vilain petit canard, de s'accuser à la place de Lloyd, le fils prodige et obéissant. Son favori. 005. Leonard est sorti de prison depuis un mois. Après toutes ces années derrière les barreaux, il est perdu. Il doit réapprendre à vivre. Et à se redécouvrir. 006. Depuis, il est hébergé par Lloyd - et sa charmante fiancée. Et bien qu'ils le savaient tous les deux déjà, ils n'ont rien en commun. Si ce n'est la relation conflictuelle et malsaine qu'ils entretiennent avec leur paternel. Sauf qu'avec le temps, Lloyd lui ressemble de plus en plus, ce qui n'améliore en rien la relation des deux frères, Leo en voulant encore à son cadet. Susceptible, impulsif, rancunier, la communication est difficile entre eux, quasi inexistante. 007. C'est que Leonard est un nouvel homme. S'il a, en quelque sorte, toujours eu cet esprit de contradiction, cette difficulté avec l'autorité, aujourd'hui il ne la supporte plus. Il se referme, il change, se perd. Il boit pour oublier, se sert de ses poings pour faire taire, des mots pour blesser encore plus profondément que ses poings peuvent le faire. 008. Leo a ces manies qu’ont tous les taulards, en sortant de prison. Il est un estomac sur deux pattes, mange comme si on ne l’avait pas nourri depuis des mois. Jamais il n’a autant apprécié la nourriture, leur saveur qu’en ce moment. Et il fait des réserves, une pomme dans une main, un sac de croustille dans l’autre, des biscuits en sachet dans la poche de son jean. 009. Il vit intensément. Les femmes, la boisson. En profite pour fuir le domicile, cette nouvelle et seconde prison. Contrôlée par Lloyd, elle n’est pas si différente. Il n’y a pas de barrière, mais on le surveille constamment. Heureusement qu’il y a cette fille, douce, rafraichissante. Sensuelle, désirable. Un exutoire. Elle se distingue des autres créatures de la nuit, lui tient compagnie, lui plait, lui fera oublier les autres. Leo n’oublie pas que les autres femmes, auprès d’elle. Il oublie tout. Il fait la guerre de ses coups de reins brutaux, lui fait l’amour aussi. Et parfois, il retrouve un peu de ce qu’il a perdu, en prison. Son âme, son cœur fracassé. L’envie de faire le bien. 010. Sauf qu’il y a Bethany. Elle aussi, éveille en lui le meilleur, tout ce qu’il a enfoui il y a bien longtemps. Elle réveille aussi le pire. Ce qu’elle est, ce qu’elle devient. Tout ça ne fait qu’attiser un peu plus sa haine envers son cadet. Son contact est néfaste, pour lui, pour Beth. Tout comme leur paternel, et Leonard ne peut rien y faire. Ces regards, ces gestes tendres, ils ne comptent pas. Elle épousera son frère. Elle est perdue. Et le monde a bien changé en neuf ans. Tout le monde, mais pas sa Charlie. Qui tente de le mettre en garde. Lily n’est pas bien pour lui, elle n’est pas ce qu’il lui faut. Sauf, qu’à force de le lui répéter, elle le pousse toujours un peu plus vers elle, dans ses bras, dans ses draps. Il est comme ça. Il n’a jamais apprécié qu’on lui dicte sa conduite, il a toujours fait confiance, laissé la chance au coureur. Et après neuf années de captivité, il ne supporte plus cela. S’il tombe, il n’aura qu’à se relever. S’il se blesse, soit, avec le temps, il guérira. Il veut vivre, comme il l’entend. Et ne pas se brimer, douce vengeance. Le fils méprisé, déshérité. Lloyd lui a tout pris. Leo n’a plus rien à perdre. Il a tout à prendre.